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Allergies et hypersensibilités

Un individu éternue, son nez et ses yeux coulent à certaines saisons de l’année. Un autre ne présente jamais de tels symptômes. Certaines personnes éprouvent des difficultés respiratoires si de grandes quantités de poussière sont soulevées dans la maison. D’autres n’éprouvent jamais ce genre d’inconvénient. Les sujets qui réagissent anormalement à des substances généralement inoffensives présentent des allergies. Les exemples les plus familiers sont le rhume des foins, l’asthme, la conjonctivite allergique, les allergies gastro-intestinales et l’urticaire. Pour les sujets qui n’en souffrent pas, ces troubles peuvent sembler anodins et même dérisoires. Mais ces allergies peuvent être la cause de perturbations désagréables, voire parfois sérieuses. Elles ne devraient pas être ignorées ou négligées dans l’espoir qu’elles disparaîtront comme par enchantement.

Allergie signifie capacité altérée à réagir normalement. C’est à un allergène ou à un antigène que le sujet réagit différemment. Un allergène n’est pas obligatoirement et généralement nocif pour la très grande majorité des individus. Il existe des centaines et des centaines d’allergènes, en particulier les aliments, les poussières, les pollens, les médicaments ou autres produits chimiques qui peuvent provoquer des réactions allergiques.

Certaines substances, souvent des protéines introduites dans un organisme qui ne les possède pas, provoquent chez celui-ci la formation d’un anticorps spécifique. La combinaison de l’antigène et de l’anticorps peut provoquer l’apparition de symptômes allergiques. Il se peut au contraire que ce mécanisme soit protecteur, immunisant, et neutralise le pouvoir d’un micro-organisme.
Le sujet qui présente des troubles violents, à la suite de l’ingestion d’un aliment auquel il est allergique, évitera tout naturellement sa consommation et en éprouvera sans doute un profond dégoût. En terme populaire, allergie est parfois synonyme de « dégoût » : « Je suis allergique au travail », « je suis allergique à telle ou telle personne … » L’allergie est quelque chose de beaucoup plus spécifique. Voici, à titre d’exemple, un cas de véritable allergie d’une femme à l’égard de son mari : Lorsque ce dernier rentrait chez lui et embrassait sa femme, elle éprouvait souvent des picotements du nez, se mettait à éternuer, ressentait des troubles respiratoires et finalement présentait une crise d’urticaire. La tension conjugale fut telle que la femme prit l’avis d’un médecin. Les différents examens révélèrent qu’elle était allergique aux chevaux. Le mari s’était mis à faire de l’équitation et l’odeur dont ses vêtements étaient imprégnés provoquait chez sa femme ces réactions peu romantiques. Il troqua l’équitation contre le golf et tout rentra dans l’ordre dans le ménage.
L’idiosyncrasie signifie une réaction particulière à chaque individu. Anaphylaxie provient d’une expression grecque qui signifie « contraire de protection ». C’est le contraire de l’immunité, une forme dangereuse d’allergie (selon les Américains), synonyme d’allergie (en Europe).

Rapports entre l’allergie et l’immunité
L’allergie se présente comme un mécanisme protecteur, conférant une immunité et se déclenchant sans contrôle. Il s’agit d’un processus similaire, en principe, à la vaccination qui confère l’immunité contre la variole ou la polio, mais ses suites sont très différentes.
Lorsqu’un sujet est infecté par un microbe ou que ses cellules sont en contact pour la première fois avec un antigène inerte et non toxique, une série complexe de phénomènes commencent à se dérouler. Quand les microbes envahissent les tissus, des substances chimiques, qui stimulent la formation d’anticorps, sont libérées. Dans le cas d’antigènes inertes, ce sont les éléments antigéniques eux-mêmes qui stimulent la formation d’anticorps. Le temps nécessaire à la formation des anticorps constitue la période d’incubation, au cours de laquelle ne se manifeste aucun symptôme.
Lorsque les anticorps sont formés, les cellules possèdent une aptitude spécifique acquise à réagir. la spécificité signifie que pour chaque antigène il existe un anticorps qui ne réagit qu’en contact avec cet antigène. Cependant, la plupart des substances qui provoquent des réactions allergiques sont complexes et peuvent contenir plus d’un antigène. Le sérum de cheval et le lait, par exemple, contiennent plusieurs protéines différentes qui peuvent agir comme des antigènes.
Que se passe-t-il si on infecte à un lapin une culture de staphylocoques virulents ? Il meurt d’infection en un jour ou deux. En réalité, l’organisme du lapin devient un milieu de culture dans lequel les microbes apparaissent individuellement et non pas en agglutinât. Très peu d’entre eux sont absorbés par les globules blancs et il n’y a pas ou peu de formation d’abcès. L’attaque des agents microbiens pour se nourrir aux dépens des cellules, associée aux éléments toxiques libérés par leur développement, provoque la mort de l’animal.

Immunisation
Mais, si nous supposons qu’on inocule au lapin une culture des mêmes microbes virulents, préalablement détruits par la chaleur, l’animal a une certaine défense. Il a produit des anticorps pour répondre aux antigènes des germes morts. Alors, si on injecte à cet animal une culture des mêmes microbes vivants, qui tuent un animal non protégé, le mécanisme devient tout à fait différent. Il se produit une sérieuse réaction locale au siège de l’injection, où se forme un abcès. Quelques microbes apparaissent dans la circulation sanguine, qui sont rapidement éliminés. Dans les tissus, les agents microbiens s’agglutinent et la plupart sont absorbés par les globules blancs. Le lapin survit. Ce phénomène est le principe de la vaccination.

Infection
Des mécanismes similaires se produisent dans le processus de maladies infectieuses comme la syphilis. Quelques heures après la pénétration dans l’organisme de l’agent de la syphilis, ce dernier s’est largement disséminé, mais le sujet ne présente aucun symptôme, pendant une période d’incubation de plusieurs semaines. Par la suite, un chancre se forme. On note alors la présence d’anticorps ; la preuve en est apportée par une recherche positive dans le sang. Le chancre est la conséquence d’une réaction du tissu aux substances élaborées, par suite de l’union des antigènes des microbes de la syphilis avec l’anticorps qui vient de se former.
Le chancre est une inflammation allergique locale. Si, à ce moment de nouveaux microbes syphilitiques envahissent l’organisme du sujet, ce dernier n’est pas infecté à nouveau. Dans la zone du chancre, il se trouve des myriades d’organismes qui peuvent, sous l’action de l’anticorps, libérer des substances toxiques. Dans les zones où de nouveaux microbes de la syphilis pénètrent, les anticorps les détruisent avant qu’ils ne puissent se multiplier. Les quantités de substances toxiques produites sont trop petites pour léser les cellules. Le sujet présente en même temps : une allergie locale du tissu (chancre), la maladie (la syphilis), et une immunité locale.
Ce qui précède nous montre que les caractéristiques des différentes infections sont le résultat de mécanismes de défense de notre organisme. La maladie est le processus de lutte entre les organismes envahisseurs et les tissus. Des mécanismes similaires et un processus essentiellement semblable se déroulent lorsqu’il s’agit d’une allergie, comme le rhume des foins ou l’asthme. l’organisme est exposé à un antigène mort, des anticorps se développent pendant une période d’incubation et la réaction allergique est consécutive à la fusion antigène-anticorps.

On peut dire que les maladies allergiques sont le résultat d’une perturbation des mécanismes de l’immunité. L’organisme se dépense de la même façon pour éliminer les substances non nocives ou mêmes nutritives que pour se débarrasser des infections graves. L’effort mis en œuvre est totalement disproportionné aux besoins. C’est, toute proportion gardée, comme si on employait un fusil de chasse pour tuer un moustique. Il est normal qu’un sujet éprouve une sensation de picotement, de démangeaison et qu’il éternue, si un petit insecte pénètre dans ses narines. Mais, quelques particules microscopiques de pollen dans le nez d’un sujet qui souffre de rhume des foins provoquent des crises violentes d’éternuements et une sécrétion excessive de liquide pour les éliminer.

Mécanismes de l’allergie
Il existe deux traits caractéristiques des symptômes allergiques. Par exsudation, certaines cellules se mettent à sécréter des liquides. Les muscles lisses (ceux qui accomplissent une action « involontaire ») se contractent. C’est l’association de ces deux effets qui est à la base des réactions allergiques.
Selon le lieu de rencontre d’un anticorps et d’un antigène, les conséquences sont profondément différentes. Si l’anticorps circule librement dans le sang (anticorps circulant) l’antigène est simplement neutralisé. Si l’union a lieu dans ou sur une cellule (anticorps lié, fixé ou univalent) la neutralisation peut également avoir lieu, il s’agit dans ce cas d’un phénomène secondaire (accessoire), mais des conséquences pénibles peuvent être provoquées par une perturbation des cellules ou par la libération de substances toxiques.
Nous ne savons pas de façon claire comment les cellules libèrent les substances chimiques qu’elles contiennent. De tous ces éléments, l’histamine est sans doute le mieux connu du grand public, en raison du grand nombre de médicaments antihistaminiques très répandus. Cependant d’autres substances chimiques jouent également un rôle : la sérotonine, l’acétylcholine, l’héparine, et d’autres substances encore.

L’histamine joue un rôle dans toutes les réactions allergiques de type immédiat. Elle provoque la dilatation des petits vaisseaux sanguins, une rougeur locale (érythème), et l’apparition d’une papule centrale, gonflement qui se détache de façon très nette, en épaisseur, conséquence d’un excès de liquides. L’histamine est également à l’origine de la contraction des muscles lisses. Isolés ou associés, ces mécanismes peuvent avoir pour conséquences des symptômes variables, selon la nature de l’organe affecté, c’est-à-dire de l’organe ou des tissus qui sont le siège de la réaction allergique.
Les conséquences des papules et de l’œdème, par exemple, varient selon leur localisation. Sur la peau ces papules deviennent de l’urticaire ; sur les muqueuses du nez, elles sont responsables d’un enchifrènement, et, s’il y a une production excessive de liquides, le nez coule abondamment. Dans la gorge ou sur la langue, l’urticaire perturbe la respiration. En cas d’asthme, le sujet présente un œdème des muqueuses associé à une contraction musculaire autour des bronchioles. Cette combinaison rétrécit les passages de l’air et perturbe la respiration. Des modifications similaires se présentent dans les voies intestinales et sont responsables de coliques et de diarrhées. Les œdèmes allergiques peuvent provoquer une forme d’arthrite. La persistance d’œdème plus ou moins localisé dans le cerveau peut être à l’origine de céphalées ininterrompues.

Autres substances chimiques
Les effets des autres substances chimiques libérées par les cellules sont moins bien connus. L’acétylcholine a de l’intérêt, car elle est la substance chimique par laquelle les nerfs importants exercent leur action ; leur liaison avec le cerveau fournit un trajet plausible par lequel les émotions peuvent influencer ou, diraient même certains, provoquer des états maladifs. Jusqu’à présent, la preuve de l’importance de l’acétylcholine n’est absolument certaine que dans une seule allergie : l’urticaire cholinergique, affection que l’on rencontre surtout chez certaines jeunes femmes rousses à la suite d’un exercice violent, d’un séjour dans un lieu surchauffé ou d’une perturbation émotionnelle.
Les kinines*, que l’on peut considérer comme des protéines en miniature, provoquent des sensations douloureuses, des papules, la contraction des muscles lisses et la dilatation des vaisseaux sanguins, selon la localisation. On peut les estimer responsables de certains troubles rhumatismales et sont souvent efficaces dans les cas d’asthme.
Il faut espérer que la recherche permettra de mieux connaître les interactions enchevêtrées de ces substances et d’en découvrir d’autres ; ainsi nous connaîtrions les thérapeutiques spécifiques pour bloquer le mécanisme symptomatique de l’allergie.
*Ne pas confondre quinine = alcaloïde du cinchona, avec kinines = substances polypeptidiques sécrétées par le système neuro-végétatif.

Quels sont les sujets susceptibles de réactions allergiques ?
Il est difficile de faire une estimation, même grossière, du pourcentage des maladies allergiques. 10 % environ de la population présentent des allergies franches, généralement sub-aiguës ou chroniques ; la moitié d’entre eux, environ, présentent des épisodes transitoires. Les estimations de pourcentage d’une maladie allergique particulière varient considérablement.

L’hérédité joue un rôle important dans la prédisposition aux troubles allergiques. Mais l’étude de l’hérédité dans les affections humaines est particulièrement difficile dans le domaine de l’allergie. Les parents ou les membres d’une famille peuvent ignorer certains troubles allergiques, ou, pour différentes raisons désirent les cacher. Par ailleurs, l’hérédité ne joue pas ici comme transmission d’une maladie spécifique, mais comme tendance à une certaine sensibilité. Un sujet qui souffre d’asthme peut avoir un enfant qui souffre de rhume des foins.
La race influe peu sur les susceptibilités allergiques. On prétend généralement que les personnes à peau noire sont relativement immunisées contre les réactions allergiques ; il n’en est rien. Nous avons eu l’occasion de poser le diagnostic et de traiter toutes les différentes formes de maladies allergiques contractées par des Japonais et par des Chinois.

L’âge : Une allergie peut se manifester à n’importe quel âge. Bien que la période d’incubation précède l’apparition des symptômes, le premier contact avec un antigène peut avoir lieu dans l’utérus maternel. La plupart des sujets qui présentent une allergie en manifestent les symptômes avant la quarantaine ; simplement parce que arrivé à cet âge, l’individu a été exposé à presque toutes les éventualités et qu’il a eu amplement l’occasion d’être sensibilisé.

Les effets de la grossesse sur les troubles allergiques varient depuis la guérison totale jusqu’à l’exacerbation des symptômes. Nous pensons que l’asthme, en particulier, devrait être traité pendant la grossesse, car les crises graves peuvent provoquer une fausse couche. On note souvent une recrudescence de l’asthme à la période menstruelle. Certaines femmes présentent à cette période une congestion nasale qui augmente l’obstruction déjà provoquée par une rhinite allergique. Les dermatoses allergiques sont souvent aggravées au moment des règles ou pendant la grossesse.