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Les troubles du mental et de l’émotivité

Les maladies mentales ou de l’émotivité posent souvent un problème particulier à la fois pour le grand public et pour le médecin : celui de décider si un schéma donné de sentiments ou un comportement anormal constituent ou non une maladie. Dans ce cas, pas de bacille à examiner sous microscope, pas de lésion purulente, pas de température à noter, qui seraient autant de signes irréfutables de maladie. On est en présence d’une distorsion des émotions et du comportement humain, c’est tout. Pourtant, la frontière entre la distorsion et ce que l’on peut considérer comme la normalité n’a pas été délimitée scientifiquement.

Un comportement manifestement perturbé est, bien entendu, facile à reconnaître, mais les désordres psychologiques de moindre gravité ont longtemps été tenus pour normaux, bien qu’ils soient aujourd’hui ré-évalués et qu’ils portent l’étiquette pathologique. La plupart du temps, dans le passé, la conduite étrange ou les angoisses intimes de l’excentrique, du misanthrope, du mystique fanatique, du timide, du Don Juan et de l’idiot du village, entre autres, semblaient sortir du cadre de la normalité. La modification des normes sociales et le développement de la psychologie, qui tend à devenir une science, nous ont conduit aujourd’hui à classer ces désordres parmi les troubles psychologiques.
C’est pourquoi, actuellement, les praticiens de la médecine mentale ne se préoccupent pas seulement des malades aux troubles flagrants, mais également des individus inadaptés à la vie, telle qu’elle nous est offerte et parfois imposée par le contexte social.

Fréquence

Dans cette optique moderne, nous pouvons dire qu’un nombre considérable d’individus sont affectés de difficultés psychologiques. L’esprit populaire n’accepte que depuis peu la psychiatrie, aussi, bon nombre de personnes sont encore effrayées et irritées quand on essaye de leur faire entendre que leurs propres échecs ou insatisfactions sont la conséquence d’une perturbation affective et qu’elles devraient s’en remettre aux conseils d’un médecin. Les mêmes individus, cependant, tiendront volontiers un rhume, un ongle incarné ou une éruption banale pour une forme de maladie et prendront les mesures nécessaires pour les guérir. Lorsqu’ils seront capables de penser et d’agir aussi rationnellement à propos des maladies mentales – y compris quelquefois les plus mineures – ils auront fait le pas qui pourra rendre leur vie à la fois heureuse et saine.

Définition et symptômes

Pourtant il n’existe toujours pas de définition généralement acceptée que nous puissions offrir au grand public quant à la signification précise du « normal » ou de « l’anormal ». Lorsque l’on demanda à Freud ce qu’une personne normale devrait être en mesure de faire, il répondit qu’elle « devrait être capable d’aimer et de travailler ». Les psychologues contemporains et les psychiatres ont un peu modifié cette réponse : l’individu normal devrait aussi être capable de s’amuser, de voir son milieu sans le déformer, de vivre en souffrant le moins possible et en obtenant de la vie le maximum de satisfaction.
Par contraste, le sujet dont l’affectivité est perturbée ressent une angoisse injustifiée ou durable, souffre d’une certaine « limitation de ses fonctions » qui le rend inapte à son travail, est incapable de vivre en société, interprète à tort les paroles et les actions de son entourage, est incapable de prendre du plaisir à des distractions et de la satisfaction à ce qu’il accomplit.

Signes qui doivent attirer l’attention

Certains sont spectaculaires, évidents. Personne ne s’y trompe. Ils correspondent bien en général à ce qu’on appelle communément « maladies mentales ».
En voici quelques-uns :
– Phases d’anxiété grave sans rapport avec une véritable menace
– Troubles sexuels, tels que l’impuissance, la frigidité et la perversion
– L’impossibilité de conserver un emploi
– Les actes d’auto-destruction comprenant la boisson, le jeu sous une forme permanente et les actions faisant courir un risque
– La persistance des cauchemars
– Frayeurs irraisonnées devant certains aliments, microbes ou véhicules
– Sentiment injustifié de la persécution
– Apathie et fatigue sans raison physique
– Accès de colère ou de rage
– Idées et tentatives de suicide, etc.
Pour le profane, aucun de ces symptômes n’est une preuve tangible de l’existence de tel type particulier de désordre psychologique. L’interaction des forces est très complexe, et seul un spécialiste peut diagnostiquer ces états. Mais quiconque est familier de ces signaux d’alarme peut tout au moins reconnaître la nécessité, pour lui-même ou un des membres de sa famille, d’un examen et du traitement d’un spécialiste. A l’opposé les « névroses » sont beaucoup plus difficiles à reconnaître par un non-spécialiste, car ce sont des inadaptations souvent discrètes, cachées, non avouées même à soi-même, et qui peuvent donner lieu à des éruptions catastrophiques.

Principaux types de comportements psychotiques et de troubles mentaux

– Défauts mineurs d’adaptation
Un certain nombre de personnes faisant autorité utilisent cette expression pour désigner un groupe de désordres mineurs qui affectent la vie professionnelle et affective. Les difficultés dans ces domaines peuvent, bien entendu, signifier des désordres mentaux très graves. La plupart du temps, cependant, de telles difficultés se produisent à un niveau bas, et ne provoquent pas de réelle infirmité.
Les flambées d’émotion, l’isolement, les crises de dépression, la timidité excessive peuvent être typiques de difficultés personnelles de cet ordre : inadaptation génératrice de souffrance, relativement préjudiciable dans un certain domaine de la vie, bien que ne paralysant pas les autres. Bien entendu, ces individus peuvent être considérablement productifs et apporter infiniment à la société, tout en demeurant personnellement anxieux et malheureux pendant presque toute leur vie.
Le terme de « dérèglement mineur » peut sembler rassurant, mais le sujet qui est affecté d’un tel désordre peut perdre le sommeil, être coléreux, découragé ou anxieux selon des modalités extrêmement variées. Sa maladie, cependant, est mineure, dans le sens qu’il n’est pas affligé de symptômes flagrants tels qu’une paralysie sans cause physique, hallucinations, peurs et contraintes étranges, idées surnaturelles, etc.
Il peut simplement être chroniquement insatisfait de son travail – peu importe ce qu’il entreprend – ou incapable de décider avec qui il veut se marier, ou mécontent de son budget, etc. Non seulement il vit plus péniblement qu’il ne le devrait, mais il semble être incapable de résoudre ses problèmes par lui-même. Le sujet sain, au contraire, fait face à un grand nombre de problèmes identiques mais s’arrange pour les résoudre par lui-même et pour tirer un maximum de satisfaction de sa vie, même imparfaite.

– Troubles du caractère
Toutes les maladies nommées troubles caractériels sont beaucoup plus nuisibles à la fois pour l’homme et pour la société que les difficultés mineures d’adaptation. Le sujet affligé de troubles caractériels se comporte plus ou moins comme un enfant entêté ou comme un primitif. Il agit selon ses impulsions, avec un égoïsme destructif, sans égard pour la société dans laquelle il vit et n’éprouvant ni inquiétude ni culpabilité particulière motivée par son attitude. Il est sain – son absence d’angoisse ne provient pas d’un désordre mental sérieux, mais d’un développement défectueux ou sans maturité de la conscience, (techniquement, de son « sur moi »), cette partie de la personnalité qui englobe les codes familiaux et sociaux. On a quelquefois baptisé ces individus « anormaux moraux » ou pervers. Un désordre caractériel mineur entraîne une incapacité à accomplir un travail convenablement, qui se manifeste par un absentéisme fréquent pour des motifs futiles. Des désordres plus sérieux peuvent s’exprimer par la tricherie, le vol, la promiscuité sexuelle, l’alcoolisme, la perversion, la drogue. Ceux-ci pourraient être excusés passagèrement comme diversion à des troubles émotionnels, mais ce n’est plus le cas lorsque le psychopathe lui-même ne voit et ne sent aucune raison de ne pas tenter ces expériences, s’il les souhaite, tout en sachant très bien que la société les réprouve. Dans certains cas, il n’est pas facile de savoir si l’on doit considérer les troubles caractériels comme des maladies de l’affectivité, car il arrive parfois que la morale d’un groupe minoritaire culturel se dresse contre la morale de la majorité.

– Maladies psychosomatiques
Ce groupe de maladies est lié de façon intime aux névroses et souvent les chevauche. Certaines frayeurs, sentiments de culpabilité, etc… dont les sources sont profondément enracinées et généralement inconnues de leurs victimes, s’expriment sous forme de maladies physiques. Les maladies psychosomatiques ne sont pas imaginaires, comme celles de l’hypocondriaque, elles existent réellement et sont visibles, mais leur origine est généralement d’ordre émotionnel plutôt qu’organique.
Parmi les maladies qui peuvent être, bien que pas nécessairement, d’origine émotive, on relève les diarrhées ou la constipation chronique, la colite, les ulcères de l’estomac, et d’autres désordres digestifs ; des maux de tête fréquents et persistants, des insomnies et de la fatigue ; des éruptions cutanées, des ulcérations de la bouche, de l’asthme et des rhumes chroniques ; des battements de cœur irréguliers, douleurs d’angine de poitrine, une mauvaise circulation, et d’autres troubles encore…
La maladie psychosomatique particulière que présente le patient a souvent une signification symbolique. Le halètement et la respiration sifflante de l’asthmatique, au cours d’une crise provoquée par l’angoisse, ne sont pas très différents des sanglots et des gémissements de l’enfant effrayé, qui essaie d’appeler sa mère. Il est essentiel de se souvenir, cependant, qu’un grand nombre de cas d’asthme, de troubles gastriques, etc… sont purement d’origine physique. Il ne faut jamais affirmer arbitrairement qu’une maladie est névrotique avant d’avoir pris un avis compétent. Un médecin éclairé peut déterminer dans quelle mesure une maladie donnée a une base physique ou non. Même si une maladie est en partie d’origine émotionnelle et qu’on la reconnaisse pour psychosomatique, ses symptômes peuvent être améliorés parfois par des moyens physiques. Mais une guérison complète nécessitera une combinaison de traitements psychologiques et physiques, ou encore pourra provenir de changements importants dans la vie du patient.

Traitements et sources d’aide

Dans le cas des troubles mentaux aussi bien que dans celui des maladies physiques, la question la plus importante est de déterminer si l’état particulier du patient nécessite ou non un traitement et dans l’affirmative de quel type. Une contusion ou un rhume banal guériront mieux sous l’action des processus réparatoires du corps, et dans la plupart des cas tout se passe beaucoup mieux sans l’intervention du médecin. De la même manière, un grand nombre de douleurs, d’angoisses et d’incapacités nerveuses dont nous souffrons sont mineures, s’estompent d’elles-mêmes, ou sont inhérentes à la condition humaine et ne se modifient pas de façon significative par un traitement. La peine causée par la mort d’une personne aimée, l’angoisse à l’idée d’une grave opération, sont généralement normales et durent le temps qu’il convient. La diminution du dynamisme qui se manifeste avec l’âge et la peur de la mort peuvent être des soucis normaux auxquels aucun être humain n’échappe. Pour prendre les décisions dont nous venons de parler, des avis professionnels, examens, diagnostics de spécialistes seront exigés. Comme nous l’avons déjà indiqué, le médecin de famille est souvent un appui, bien qu’il ne soit pas toujours en mesure de faire un diagnostic psychiatrique précis. Mais dans cette éventualité, il connaîtra un psychiatre compétent à qui adresser le patient.

Ce que Shakespeare écrivit à propos de la mort pourrait parfaitement être dit du traitement psychiatrique par tous ceux qui s’en effraient : « Plutôt supporter les maux que nous avons, que voler vers ceux que nous ignorons. » Mais le temps est venu de faire table rase de ces frayeurs. La majorité de ceux qui ont été traités par une thérapeutique somatique ou psychologique appropriée et bien menée, pour n’importe quelle forme de désordre émotionnel ou mental, en ont ressenti les bienfaits ou ont été guéris complètement. Plus le traitement est instauré précocement, plus les chances de guérison sont rapides et complètes.